Naora avait quitté le camp peu de temps auparavant. Elle avait eu envie d'un peu de solitude et de calme. La meute avait été pas mal occupée ces temps-ci avec la recherche de nouvelles terres. D'ailleurs, la lupine blanche n'était pas peu fière d'avoir été une des heureuses chanceuses à découvrir un territoire accueillant. Justement, c'est là-bas qu'elle se rendait. La paria eut envie d'aller explorer plus avant les alentours de l'Arche perdue. Qui sait, peut-être y découvrira-t-elle quelque chose d'intéressant ?

Le pas de la jeune louve était léger. Elle avançait sans un bruit. Seuls les parias étaient capables d'une telle prouesse sur un terrain aussi escarpé que celui-ci. Elle atteignit bientôt l'arche. Mais une odeur suspecte l'a stoppa net. Elle ignorait de qui il s'agissait, cependant une chose était sûre, ce n'était pas un membre du clan. Un intrus donc. Instinctivement, Naora découvrit ses crocs immaculés et émit un léger grondement, presque inaudible. Elle se glissa derrière un buisson et se rapprocha discrètement. Que ne fut pas sa surprise quand elle aperçut finalement la silhouette de l'étranger ! C'était lui, Kaan, aucun doute là dessus ! Avec la proximité, la lupine reconnu son odeur. Cela faisait tellement de temps qu'elle ne l'avait plus revu. Depuis son enlèvement en vérité. Elle était partagée entre la stupéfaction, la joie de le retrouver et l'hostilité. Il avait tout de même pénétré sur le territoire des parias, un détail qu'il ne fallait pas l'oublier.

Naora se redressa et tout once d'agressivité disparue de son visage angélique. Sans sortir de sa cachette, elle l'observa un moment. Il n'avait pas beaucoup changé. Ou plutôt si. Il semblait plus robuste, plus sûr de lui. L'entrainement sans doute. Naora se souvint que Kaan avait l'habitude de consacrer beaucoup de temps l'amélioration de ses performances physiques. Cela semblait avoir porter ses fruits. Elle se demanda alors s'il avait aussi changé là où ça ne se voit pas, intérieurement, dans son coeur. Elle espérait tout au fond d'elle que son démon de mentor le l'ait pas totalement perverti.

Finalement, sans sortir de sa cachette, la femelle blanche se décida à se faire connaitre : « Quelle surprise de te revoir, Kaan. » fit-elle d'une voix douce mais suffisamment forte pour qu'il entende parfaitement bien.

Elle attendit quelques secondes, le temps de semer un peu la confusion dans l'esprit du jeune mâle. Elle daigna finalement sortir de derrière le buisson qui la dissimulait et s'avança de quelques pas vers son congénère. Elle plongea son regard d'azur dans celui dorée de Kaan. Naora avait toujours trouver ses yeux magnifiques. Aussi brûlants et captivants que le feu qu'il parvenait à dompter...

Aux premiers mots du grand mâle, Naora esquissa un sourire discret de sorte à ce que Kaan ne puisse le voir. C'était lui tout craché. Toujours aussi charmeur. Malgré le temps qui s'était écoulé depuis leur dernière entrevue, il paraissait être resté fidèle à lui-même. Quelque part, cela rassura la paria. Cette dernière ne vint pas briser le court silence qui s'était installé. Elle se doutait que la soudaineté de cette rencontre avait de quoi déstabiliser l'apprenti exécuteur. Il avait surement de nombreuses interrogations au sujet de la situation de la soigneuse, de ce qu'elle était devenue, et de comment elle s'en sortait en ce moment. Sa première question ne tarda pas à être posée. Naora détourna le regard de celui du loup pour le plonger dans l'eau frémissante. Elle réfléchissait à comment elle allait pouvoir lui répondre, de comment lui expliquer son choix de rester parmi les parias. La louve ferma les yeux un bref instant et marqua sa respiration.

« Depuis cette nuit-là, il s'est passé beaucoup de choses... » Naora tentait d'amorcer le sujet avec précaution avant de reprendre : « J'ai rejoint les parias. Je sais ce que tu penses d'eux, tout comme je sais ce que tu vas penser de moi maintenant. Mais j'ai appris à les connaitre. Et crois-moi, ils ne sont pas du tout comme le Royaume veut bien nous le faire croire. Je ne cherche pas à te convaincre, je veux juste que tu comprennes mon choix. »

Naora reposa ses yeux couleur ciel sur son compagnon. Dans son regard on pouvait lire une certaine douceur, teintée de mélancolie. Elle redoutait la réaction de Kaan. Non pas que cela changerait quoi que se soit à sa décision, mais quoi qu'elle veuille bien en dire, elle tenait à lui. S'il décidait de lui tourner le dos définitivement, de la voir plus que comme une traîtresse, elle en serait blessée.

« Je ne reviendrais pas au Royaume. Je n'y ai pas trouvé ma place auparavant et ça ne sera jamais le cas. Pas dans ces conditions. Je ne veux pas vivre une vie de faux-semblants. Une vie de crainte dissimulée sous un sourire forcé, de peur qu'on me fasse disparaître si je devenais gênante ou inutile. »

Naora savait de quoi elle parlait. La paria avait vu trop de congénères disparaître mystérieusement, du jour au lendemain. Elle avait vu clair aux travers des minois agréables et chaleureux des habitants de RiverHaven. Que de mensonges, que de tromperies, que de cruautés. En vérité, si elle n'avait pas été kidnappée par les parias ce jour-là, elle aurait sans doute fini par les rejoindre de toute façon. Disons que le destin a été forcée.

« Ne m'en veux pas Kaan. » finit-elle pas dire, à demi-mot, comme pour exprimer un souhait.

Naora comprit qu'à la réaction que Kaan venait d'avoir, quelque chose venait de se briser. Il avait eu ce mouvement de recul, comme s'il rejetait la femelle, comme si elle le dégoutait à présent. Le voir agir ainsi blessa la paria. Elle s'attendait à cela mais malgré tout, voir un être à qui elle tenait vraiment la fuir fit monter un sentiment de tristesse en elle. Elle déglutit, comme pour tenter d'accepter la réalité situation. Elle voulu faire un pas vers lui mais au moment de reposer la patte à terre, elle se figea. La louve se dit que c'était peut être déjà trop tard pour essayer d'arranger les choses. Alors elle reprit sa position initiale. Quand les yeux de l'apprenti exécuteur se reposa sur elle, elle détourna immédiatement son regard de son congénère. Ses iris couleur ciel se perdirent de nouveau dans les profondeurs de l'eau cristalline. Une brise vint alors faire onduler les poils des deux lupins. Le vent semblait leur parler. Naora ferma les yeux un court instant, comme si elle écoutait son chuchotement réconfortant. Que pouvait-elle faire ou dire pour ne pas perdre Kaan à tout jamais ? Elle ne savait pas. D'ordinaire, sa répartie ne lui faisait jamais défaut et lui permettait toujours de trouver les bons mots. Mais là, rien. Son esprit était embrouillé. Elle savait depuis longtemps que ce jour arriverait et qu'elle ne pouvait pas fuir éternellement la confrontation avec certains de ses anciens proches de Riverhaven. Mais de tous, c'était Kaan qu'elle redoutait le plus. Sans doute parce que c'était celui qu'elle ne voulait surtout pas avoir à laisser derrière elle.

Ses dernières paroles raisonnèrent un moment dans sa tête. Lui également devait être aussi perdu qu'elle l'était à cet instant. Mais même si elle avait changé de camp, au fond de son être Naora n'était pas différente. Elle était restée la même. Un clan ou un autre ne définit pas ce que l'on est. Il suffisait de voir la différence flagrante qu'il y avait entre le maitre et l'apprenti. Comment arriver à le lui faire comprendre ?

Naora ne disait mot. Elle craignait de se montrer maladroite et d'éloigner un peu plus Kaan d'elle. Alors, sans se retourner vers lui, elle eut l'idée de lui rappeler un souvenir lointain, celui du jour de leur rencontre. Cette nuit-là, Naora s'était éloignée du Royaume et flânait seule au bord d'un lac. Elle s'entrainait à contrôler son pouvoir. Bien sûr, elle avait remarqué la présence du mâle qui l'observait mais faisait semblant de ne pas le savoir. La jeune louve s'amusait à façonner de petites fleurs de glace qui flottaient à la surface de l'étendue d'eau. La lumière lunaire donnait l'impression qu'elles brillaient. C'était magnifique à voir. Naora était persuadée que Kaan s'en souviendrait. Même s'ils n'avaient pas échangé un mot cette fois-là, il était resté jusqu'à ce que Naora parte d'elle même. Il avait donc forcément vu ces fleurs gelées. Le cryokinésie avait la particularité d'être un don empli de beauté. Il lui permettait de faire des choses surprenantes, tout en la protégeant lors des combats. La femelle remerciait chaque jour le présent qu'on lui avait accordé.

De la glace se forma au niveau des pattes avants de Naora. Doucement, celle-ci rampa sur le sol jusqu'à atteindre l'eau devant la louve. Des fleurs de glace émergèrent tour à tour de la surface, comme dans un véritable jardin. En quelques secondes, une dizaine flottait paisiblement au dessus des poissons interrogatifs. La paria sourit légèrement, observant son œuvre. Elle n'avait pas refait cela depuis la fameuse nuit.

« T'en souviens-tu ? » demanda seulement d'une douce voix Naora, sans regarder Kaan.

[ HRP ; J'ai imaginé seule notre première rencontre, j'espère que ça te dérange pas et que ça t'ira ❤️ ]